2025

“Pour peindre un pays, il faut le connaître. Moi je connais mon pays, je le peins. Ces sous-bois, c’est chez moi, cette rivière, c’est la Loue, celle-ci le Lison ; ces rochers, ce sont ceux d’Ornans et du Puits-noir. Allez-y voir et vous reconnaîtrez mes tableaux.”
Gustave Courbet, 1867

“Every day, once a day, give yourself a present. Don’t plan it. Don’t wait for it. Just let it happen. It could be a new shirt at the men’s store, a catnap in your office chair, or two cups of good, hot black coffee.”
Dale Cooper, Twin Peaks, 1990

“Letters are symbols. They are building blocks of words which form our languages. Languages help us communicate. Even with complicated languages used by intelligent people, misunderstanding is a common occurrence. We write things down sometimes — letters, words — hoping they will serve us and those with whom we wish to communicate. Letters and words, calling out for understanding.”
Log Lady, Twin Peaks, 1990

“Aucune chose n’est en elle-même politique car la politique n’existe que par un principe qui ne lui est pas propre, l’égalité.”
Jacques Rancière, La Mésentente

« La morale anarchiste est-elle pure, et dans la société libertaire, si elle se constitue, l’homme sera-t-il meilleur que dans une société reposant sur la crainte du pouvoir ou des lois? » Je réponds en toute assurance et j’espère que bientôt vous répondrez avec moi: « Oui, la morale anarchiste est celle qui correspond le mieux à la conception moderne de la justice et de la bonté. (…) Entre égaux, l’œuvre est plus difficile, mais elle est plus haute: il faut chercher âprement la vérité, trouver le devoir personnel, apprendre à se connaître soi-même, faire continuellement sa propre éducation, se conduire en respectant les droits et les intérêts des camarades. Alors seulement on devient un être réellement moral, on naît au sentiment de sa responsabilité. La morale n’est pas un ordre auquel on se soumet, une parole que l’on répète, une chose purement extérieure à l’individu; elle devient une partie de l’être, un produit même de la vie. C’est ainsi que nous comprenons la morale, nous, anarchistes. »
Elisée Reclus, L’anarchie

Johnny’s always running around
Trying to find certainty
He needs all the world to confirm
That he ain’t lonely
Mary counts the walls
Knows he tires easily

Johnny thinks the world would be right
If it could buy the truth from him
Mary says he changes his mind
More than a woman
But she made her bed
Even when the chance was slim

Johnny says he’s willing to learn
When he decides he’s a fool
Johnny says he’ll live anywhere
When he earns time to
Mary combs her hair
Says she should be used to it

Mary always hedges her bets
She never knows what to think
She says that he still acts like he’s being discovered
Scared that he’ll be caught without a second thought
Running around

Johnny feels he’s wasting his breath
Trying to talk sense to her
Mary says he’s lacking a real sense of proportion
So she combs her hair
Knows he tires easily

Johnny’s always running around
Trying to find certainty
He needs all the world to confirm
That he ain’t lonely
Mary counts the walls
Says she should be used to it

Johnny’s always running around
Running around

Robert Palmer, Johnny & Mary
*1980

«Tous les arts ont produit leurs merveilles, l’art de gouverner n’a produit que des monstres».
Saint-Just

« Un jour, un jeune homme était assis au bord de la mesa : il regardait les tombes, en dessous et se demandait si ceux qui mouraient continuaient à vivre quelque part. Finalement, il prit de la farine de maïs, la répandit sur le bord de la mesa et pria le dieu du Soleil : « Si vous avez vu quelque part ceux qui sont morts, dites-le-moi, je vous prie. » Ayant ainsi prié pendant quatre jours consécutifs, il s’assit et vit ce qui ressemblait à un homme gravissant la mesa et s’approchant de lui. « Pourquoi me veux-tu ? » demanda-t-il. Le jeune homme répondit : « Parce que je pense tout le temps à ceux qui sont enterrés ici, et s’il est vrai qu’ils vivent dans une autre vie. » « Oui », répondit l’étranger, « ils sont vivants. Si vous voulez les voir, je vous donnerai ceci. » Alors, le dieu du Soleil, car c’était lui sous cette forme humaine, tendit une médecine au jeune homme : en la prenant, il pouvait tomber profondément endormi et mourir. Après avoir pris la médecine, le garçon mourut réellement, visita la Maison des Morts, et revint raconter aux autres comment vivent les morts. Depuis lors, beaucoup de gens d’Oraibi ont eu des expériences semblables, ont fait un long voyage et sont revenus raconter ce qu’ils avaient vu. Certains détails varient selon les personnes, mais leurs histoires se ressemblent beaucoup. Après qu’ils sont morts, ils suivent un chemin vers l’ouest. En route, ils dépassent des malheureux qui cheminent péniblement, qui sont fatigués et assoiffés, implorent qu’on « leur donne de la nourriture ou de la boisson, et demandent à être portés, ne serait-ce que quelques pas. Ils dépassent des gens qui portent de lourds fardeaux, soutenus par une seule courroie qui leur scie le front ; des cactus sont attachés aux parties sensibles de leur corps pour les piquer à chaque pas. Certains sont nus et désolés et se traînent sur un chemin défoncé, infesté de vipères qui dressent souvent la tête pour siffler et frapper : ces malheureux sont des voisins et des parents d’Oraibi que l’on punit de leurs péchés. Ce sont les gens qui n’ont pas souhaité la pluie, qui ont ainsi offensé les nuages, qui sont partis, ou qui ont invité les mauvais vents et les tempêtes de grêle pour affliger les gens. Ce sont ceux qui n’ont pas écouté les conseils des vieux, qui n’ont pas suivi la route droite, qui ont volé, qui ont inventé de vilains mensonges, semant l’inquiétude. Ce sont des Deux-Cœurs qui ont projeté des queues de lézard, des fourmis, du venin de serpent, des flèches empoisonnées ou de mauvaises pensées dans d’autres gens pour provoquer leur mort. Leur voyage est long et tortueux, et il dure quelquefois des siècles, avant qu’ils n’atteignent la Maison des Morts. Mais aux justes, à ceux qui ont suivi les conseils des Anciens et se sont fidèlement tenus dans la Voie du Soleil, on permet de prendre une grand-route large et lisse, surveillée par des membres de la société des Guerriers (Kwanitika), qui portent une grande corne comme coiffure et agitent une clochette pour attirer l’attention, tandis qu’ils escortent les bons à travers les mauvaises passes et les dirigent pour la suite de leur voyage. (…) Les justes atteignent enfin un endroit où les méchants sont châtiés dans des fosses ardentes, et « après ce spectacle horrible, ils entrent dans un grand village de maisons blanches où leurs parents disparus vivent en paix dans l’abondance. Ils constatent que ceux qui étaient bons sur terre jouissent des mêmes rangs et des mêmes offices qu’à Oraibi. Ces ancêtres ne mangent pas de nourriture ordinaire : ils ne consomment que son arôme ou son âme, si bien qu’ils ne sont pas pesants lorsqu’on les change en nuages et qu’ils flottent dans les airs. (…) Ils conseillent aux visiteurs, après être rentrés à Oraibi, avoir raconté aux gens ce qu’ils avaient vu et les avoir assurés que la vie continuait après la mort, de ne plus penser à la mort, mais d’accomplir régulièrement les rites, de vivre de manière pacifique, et de ne pas s’écarter de la Voie du Soleil hopi qui mène à la vie. »
Don C. Talayesva, Soleil Hopi

«  Puisses-tu vivre sans souffrir, suivre la Voie du Soleil jusqu’à la vieillesse et mourir sans douleur, tout en dormant. »
Don C. Talayesva, Soleil Hopi

“On n’est jamais suffisamment triste pour faire que le monde soit meilleur.”
Elias Canetti, Le territoire de l’homme

“Il y a une vérité de l’exil, il y a une vocation de l’exil, et si être Juif c’est être voué à la dispersion, c’est que la dispersion, de même qu’elle appelle à un séjour sans lieu, de même qu’elle ruine tout rapport fixe de la puissance avec un individu, un groupe ou un État, dégage aussi, face à l’existence du Tout, une autre exigence et finalement interdit la tentation de l’Unité-Identité.”
Maurice Blanchot, L’expérience limite

“Ce n’est pas aux artistes qui se préoccupent de formes qu’on pense en premier quand on pense à l’art politique. Mais il-elles créent des lumpen-formes qui rendent compte de protestations ; leurs gestes sont des gestes d’attention, de réparation; ou bien il-elles tentent simplement d’envoyer un signal étrange, tellement personnel qu’il en est électrisant, qui réveillera quiconque le recevra, l’espace d’un moment - un moment bizarre susceptible de faire basculer le sens des choses, et d’altérer ainsi le monde, même si ce n’est qu’un tout petit peu.”
Amy Sillman, Notes sur la question de la forme

“Je suis entièrement clair et résolu : plus le rêve menace de se réaliser effectivement, le rêve dangereux d’un État juif avec des canons, des drapeaux, des décorations, plus j’aime l’idée douloureuse de la diaspora, le destin juif davantage que le bien-être juif. Ce n’est pas dans le bien-être ni l’accomplissement que ce peuple a jamais trouvé sa valeur - il n’affirme sa force que sous l’oppression, son unité que dans l’éclatement.”
Stefan Zweig (lettre à Martin Buber, 1918)

“Macbeth - Où en est la nuit ? Lady Macbeth - À l’heure encore indécise de sa lutte avec le matin.”
William Shakespeare, Macbeth

“En interdisant de nommer et de condamner ce que nous avons sous les yeux – l’étouffement et la boucherie quotidienne d’un peuple, la destruction d’une terre et d’une société –, en imputant la « haine » non à celles et ceux qui commettent un génocide, mais à celles et ceux qui le dénoncent, la défense jusqu’au-boutiste d’Israël accélère l’orwellisation de notre monde.”
Mona Chollet

“Depuis le 7 octobre 2023, date à laquelle le Hamas a commis des crimes terribles contre des citoyen·ne·s d’Israël et d’autres pays et pris en otage de plus de 250 personnes, le monde assiste sur ses écrans à un génocide en direct. Les États ont regardé, comme s’ils étaient impuissants, Israël tuer des milliers de Palestiniennes et de Palestiniens, massacrant des familles entières sur plusieurs générations et détruisant des habitations, des moyens de subsistance, des hôpitaux et des établissements scolaires. L’année 2024 restera dans les mémoires comme celle d’une occupation militaire israélienne plus éhontée et meurtrière que jamais, du soutien apporté à Israël par les États-Unis, l’Allemagne et quelques autres pays européens, du veto opposé à plusieurs reprises par le gouvernement du président Joe Biden aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies appelant à un cessez-le-feu, et de la poursuite des fournitures d’armes à Israël. En 2024, Israël et ses puissants alliés, au premier rang desquels les États-Unis, ont prétendu que le droit international ne s’appliquait pas à eux, ou ont agi comme si tel était le cas, choisissant d’ignorer les injonctions de la Cour internationale de justice et les décisions de la Cour pénale internationale.”
Rapport annuel Amnesty International 2024-2025, publié le 28 avril

THE LAST YEAR

Out of luck and out of time
It’s true, the last year oughta’ve plagued my mind
To be the actor, to play the part, it’s come to this
’Cause I’m exactly what you said and better off than dead
Can’t get me out of my own bed
You’d wonder if ever there’s been hope for me

I think it’s gonna be fine
I think we’re gonna be together
And the storyline goes forever
And the distances I can see
It’s you and me
I’m gone with all the changes in my mind

Out of luck and (out of luck), out of time (out of time)
And wouldn’t you say the past’s no longer quite
As near as you’d like, and it’s gonna hurt you now?
‘Cause I’m exactly what you said, the tears have all been shed
Can’t watch the headlights from my bed
The chapter’s at an end, and I’ll be holding tight

I think it’s gonna be fine
I think we’re gonna be together
And the storyline goes forever
And the distances I can see
It’s you and me
I’m gone with all the changes in my mind

Jessica Pratt

Tu écartais tes sphères intransigeantes
pour cueillir une fleur
tu résonnais d’un monde clarté

des papillons représentent une scène de ta vie
où l’aurore s’éveille sur tes lèvres
une étoile se forme selon ton dessin

Hans Arp

« Viens et vois »
(Apocalypse VI, 1)

“Sais-tu ce que je fus? comment je vécus? Toi qui sais
ce qu’est le désespoir; alors,
l’hiver devrait avoir un sens pour toi.

Je ne m’attendais pas à survivre,
la terre m’ayant supprimé. Je ne m’attendais pas à
me réveiller à nouveau, sentir
dans la terre humide mon corps
capable de réagir à nouveau, se souvenir
après si longtemps comment éclore à nouveau
dans la lumière froide du printemps précoce -

apeuré, oui, mais à nouveau parmi vous
à pleurer, oui, risquer la joie

dans le vent cru du nouveau monde.”

Louise Glück, Perce-neige

“Bien qu’un certain aspect de toute présence perçue soit exposé à mes yeux et à mes narines, ou au toucher de mes doigts, il y a toujours une dimension supplémentaire qui reste cachée. Cette tension entre les dimensions apparente et cachée de chaque être attire constamment mon corps percevant, et provoque la curiosité exploratoire de mes sens. La perception n’est rien d’autre que cette relation ouverte - la séduction active de mon corps par un jeune arbre ou par une portion de rivière, ou par le mur en ruine d’un ancien moulin au bord de l’eau - et la réponse de mes membres et de mes sens qui écoutent, auxquels l’autre répond à son tour, dévoilant des aspects supplémentaires de lui pour mon regard ou pour mes oreilles attentives. Si je dirige mon attention ailleurs, je m’écarte non pas d’un objet inerte, mais d’une manière d’être unique et inachevée, une présence expressive et énigmatique avec qui j’ai flirté, même brièvement. Peu importe combien de temps je m’attarde avec un être quel qu’il soit, je ne peux pas épuiser l’énigme dynamique de sa présence. C’est cette réticence, l’inépuisable altérité des choses, qui leur permet de retenir mon regard, de se maintenir dans mon attention.”
David Abram

“Alors que les personnes de cultures de l’écrit parlent souvent au sujet du monde naturel, les peuples indigènes de culture orale parlent parfois directement à ce monde, considérant certains animaux, plantes et même des paysages comme des sujets expressifs avec lesquels ils peuvent engager une conversation. Il est évident que ces autres êtres ne parlent pas une langue humaine; ils ne parlent pas en mots. Ils peuvent parler par le chant, comme beaucoup d’oiseaux, ou en rythme, comme les criquets et les vagues de l’océan. Ils peuvent parler un langage de mouvements et de gestes, ou s’articuler par la variation des ombres. De nombreux peuples autochtones supposent que de telles formes de parole expressive sont aussi communicatives, à leur manière, que le discours plus verbal de notre propre espèce (qui, après tout, peut aussi être considéré comme une sorte de gesticulation vocale, ou même une sorte de chant). Le langage, pour les peuples traditionnellement oraux, n’est pas un attribut spécifiquement humain, c’est une propriété de la terre animée à laquelle nous, humains, participons.
Le langage oral souffle en bourrasque à travers nous - nos phrases sonores naissent du même air qui nourrit les cèdres et gonfle les cumulus. Étendus et immobilisés sur une surface plate, nos mots tendent à oublier qu’ils sont portés par cette terre balayée par les vents; ils se mettent à imaginer que leur tâche première est de fournir une représentation du monde (comme s’ils en étaient en dehors et ne faisaient pas réellement une partie de ce monde). La puissance du langage reste néanmoins avant tout une manière de chanter pour entrer en contact avec autrui et avec le cosmos - une manière de combler le silence entre soi-même et une autre personne, ou un ours brun étonné, ou le croissant de lune qui surgit comme une voile gonflée au-dessus du toit. Qu’il retentisse sur la langue, qu’il soit imprimé sur une page ou qu’il scintille sur un écran, le don premier du langage n’est pas de re-présenter le monde autour de nous, mais de nous appeler à la présence vitale de ce monde - et à une présence profonde et attentive les uns avec les autres.”
David Abram, Devenir animal

« S’il faut se mettre en route et errer, est-ce parce qu’exclus de la vérité, nous sommes condamnés à l’exclusion qui interdit toute demeure ? N’est-ce pas plutôt que cette errance signifie un rapport nouveau avec le “vrai” ? N’est-ce pas aussi que ce mouvement nomade (où s’inscrit l’idée de partage et de séparation) s’affirme non pas comme l’éternelle privation d’un séjour, mais comme une manière authentique de résider, d’une résidence qui ne nous lie pas à la détermination d’un lieu, ni à la fixation auprès d’une réalité d’ores et déjà fondée, sûre, permanente ? »
Maurice Blanchot “L’expérience limite”

la sirène de satan
sur le toit d’en face
yodel rapide aigu
et contrepoint de crissement
des roues dans un virage
perpétuel était la même
exactement
tu as dû en convenir
qu’à la fin de night of the demon
mais elle ne rayait nos tympans
que deux ou trois minutes
de loin en loin
et tu as émis l’hypothèse
d’une chasse d’eau grinçante
destination l’enfer, hélas
je dois te dire que désormais
elle sonne des heures
des heures entières
de dérapage incontrôlé
de carambolage imminent
comme s’il fallait nous prévenir
du cataclysme en cours

Pierre Alferi