2023

“La Palestine est la seule situation d’oppression du monde dans laquelle ce n’est pas l’oppression qui est considérée comme un scandale, mais sa dénonciation.”
Mona Chollet, Le monde d’après, 19 décembre 2023

« Si la totalité des couleurs est apportée en tant qu’objet de l’extérieur à l’œil, elle le ravit, car c’est la somme de sa propre activité qui vient vers lui en tant que réalité. »
Johann Wolfgang von Goethe, Traité des couleurs

“Avant le 7 octobre, on considérait que c’était une période « calme », puisque les Israéliens vivaient (plus ou moins) en paix, et tout le monde se foutait de la violence quotidienne que subissaient les Palestiniens. Quand ils manifestaient pacifiquement pour leurs droits, comme lors de la « Marche du retour » de 2018-2019 le long de la clôture de Gaza, ils se faisaient abattre ou mutiler par les snipers de l’armée israélienne, dans l’indifférence générale. Et depuis que le Hamas a forcé leur retour sur la scène internationale par des moyens ultraviolents, samedi dernier, ses crimes sont utilisés pour les diaboliser dans leur ensemble et pour livrer les civils de Gaza – aussi innocents des agissements du Hamas que les civils israéliens sont innocents des agissements de leur gouvernement – à un déluge de feu. Il n’y a tout simplement aucune issue pour eux. Ce qu’on leur demande, c’est de crever en silence. Il est clair désormais qu’ils ont été (du moins en Occident) expulsés définitivement de l’humanité. Ce n’est jamais, et ce ne sera sans doute jamais, le moment pour leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité. Leur souffrance n’aura jamais droit de cité.”
Mona Cholet, Sortir de l’enfer, 11 octobre 2023

« Rupture veut beaucoup dire et n’a rien à voir avec rupture de chaîne où l’on est généralement destiné à trouver une autre chaîne ou à reprendre l’ancienne. La célèbre « Évasion » ou « la fuite loin de tout » est une excursion dans un piège, même si le piège comprend les mers du Sud, qui ne sont faites que pour ceux qui veulent y naviguer ou les peindre. Une vraie rupture est quelque chose sur quoi on ne peut pas revenir ; qui est irrémissible parce qu’elle fait que le passé cesse d’exister. »
Francis  Scott Fitzgerald, La fêlure

“La vie est spéculation, et la spéculation c’est la vie. Quel mot merveilleux ! Ça veut dire supposer. Mais ça veut aussi dire refléter.”
Richard Powers, L’Arbre-Monde

“Vous comprenez, beaucoup de gens prennent les arbres pour des organismes simples, incapables de faire quoi que ce soit d’intéressant. Mais il existe un arbre pour chaque fonction. Leur chimie est incroyable. Des cires, des graisses, des sucres. Des tanins, des stérols, des gommes, des caroténoïdes. Des acides résineux, des flavonoïdes, des terpènes. Des alcaloïdes, des phénols, des subérines ligneuses. Ils apprennent à fabriquer tout ce qui peut se fabriquer. Et l’essentiel de leur fabrication, nous ne l’avons toujours pas identifié. (…) Nous commençons tout juste à comprendre toute la variété de ce que ça peut recouvrir, fonctionner. La vie a un moyen de s’adresser au futur. Ça s’appelle la mémoire. Ça s’appelle les gènes. Pour résoudre le futur, nous devons sauver le passé. Ma règle empirique, elle est toute simple : quand vous abattez un arbre, ce que vous en faites devrait être au moins aussi miraculeux que ce que vous avez abattu. (…) Nous avons découvert que les arbres pouvaient communiquer, dans les airs et par leurs racines. Le sens commun nous a hués. Nous avons découvert que les arbres prennent soin les uns des autres. La communauté scientifique a rejeté cette idée. Ce sont des marginaux qui ont découvert que les graines se souviennent des saisons de leur enfance et répartissent les bourgeons en conséquence. Ce sont des marginaux qui ont découvert que les arbres sentent la présence d’autres êtres vivants. Qu’un arbre apprend à économiser l’eau. Que les arbres nourrissent leurs petits et synchronisent leurs faînes et mettent en commun leurs ressources et alertent leurs proches et envoient des signaux aux guêpes pour qu’elles viennent les protéger des attaques. Et voici un scoop marginal. Vous pouvez attendre qu’il soit confirmé. Une forêt sait des choses. Les arbres se connectent sous terre. Il y a des cerveaux là-dessous, que nos cerveaux ne sont pas programmés pour percevoir. Qui résolvent les problèmes, qui prennent des décisions. La plasticité des racines, les synapses fongiques. Comment appeler ça autrement ? Si on relie assez d’arbres, la forêt devient consciente.”
Richard Powers, L’Arbre-Monde

« Comme beaucoup de problèmes psychologiques, les recherches sur l’imagination sont troublées par la fausse lumière de l’étymologie. On veut toujours que l’imagination soit la faculté de former des images. Or elle est plutôt la faculté de déformer les images fournies par la perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de changer les images. S’il n’y a pas changement d’images, union inattendue des images, il n’y a pas imagination, il n’y a pas d’action imaginante. Si une image présente ne fait pas penser à une image absente, si une image occasionnelle ne détermine pas une prodigalité d’images aberrantes, une explosion d’images, il n’y a pas imagination. Il y a perception, souvenir d’une perception, mémoire familière, habitude des couleurs et des formes. Le vocable fondamental qui correspond à l’imagination, ce n’est pas image, c’est imaginaire. » 
Gaston Bachelard, L’air et les songes

“j’ai toujours aimé ce parking désert
et la palissade qui interdit
aux yeux beaucoup de l’horizon
mais assis contemplant j’ouvre d’indéfinis
espaces derrière elle de surhumains
silences une insondable paix
dans ma tête mon coeur manque
s’arrêter quand j’entends
les emballages bruire dans le vent j’
associe le silence infini
à sa voix l’éternel me revient
et les mortes-saisons et la présente
et vive et sa rumeur alors
dans l’immense cité s’annule ma pensée
le naufrage m’est doux sur cette mer”

Pierre Alferi

“Vous et l’arbre de votre jardin êtes issus d’un ancêtre commun. Il y a un milliard et demi d’années, vos chemins ont divergé. Mais aujourd’hui encore, après un immense voyage dans des directions séparées, vous partagez avec cet arbre le quart de vos gènes…”
Richard Powers, L’Arbre-Monde

“Elle se remémore les paroles du Bouddha : Un arbre est une créature miraculeuse qui abrite, nourrit et protège tous les êtres vivants. Il offre même de l’ombre aux bourreaux qui l’abattent.”
Richard Powers, L’Arbre-Monde

“Le ciel est si hébété de bleu qu’on le dirait peinturluré avec les doigts par un écolier.”
Richard Powers, L’Arbre-Monde

“Elle émerge dans la clairière de l’étang. Le ciel étoilé explose au-dessus d’elle et suffit à expliquer pourquoi les humains font la guerre aux forêts depuis la nuit des temps. Dennis lui a appris l’expression des bûcherons : On va faire un peu de lumière dans cette jungle. Les forêts affolent les hommes. Il s’y passe trop de choses. Les humains ont besoin d’un ciel.”
Richard Powers, L’Arbre-Monde

“Il lui reste à découvrir que les mythes sont des vérités fondamentales déformées en formules mnémotechniques, des instructions transmises par le passé, des souvenirs qui attendent de devenir prédictions.”
Richard Powers, L’Arbre-Monde

“Feel the wind burn through my skin
The pain, the air is killing me
For years my limbs stretched to the sky
A nest for birds to sit and sing

But now my branches suffer
And my leaves don’t bear the glow
They did so long ago

One day I was full of life
My sap was rich and I was strong
From seed to tree I grew so tall
Through wind and rain I could not fall

But now my branches suffer
And my leaves don’t offer
Poetry to men of song

Trees like me weren’t meant to live
If all this world can give
Pollution and slow death

Oh Lord I lay me down
No life’s left to be found
There’s nothing left for me”

Beach Boys, A Day in the Life of a Tree

“Dans un état de coma animé
le statut de clochard
cette tête grisonnante écroulée sur le banc du quai
tel l’Empereur du Vide
sur un trône auquel personne ne prétend
se drape d’une auguste distance
à l’image dune divinité-
fleur excessive
qui s’ouvre immaculée
parmi l’ordure.”

Mina Loy, “J’ai presque vu Dieu dans le métro”

“Entre égaux, l’œuvre est plus difficile, mais elle est plus haute: il faut chercher âprement la vérité, trouver le devoir personnel, apprendre à se connaître soi-même, faire continuellement sa propre éducation, se conduire en respectant les droits et les intérêts des camarades. Alors seulement on devient un être réellement moral, on naît au sentiment de sa responsabilité. La morale n’est pas un ordre auquel on se soumet, une parole que l’on répète, une chose purement extérieure à l’individu; elle devient une partie de l’être, un produit même de la vie. C’est ainsi que nous comprenons la morale, nous, anarchistes.”
Élisée Reclus, L’anarchie

« Imaginer une société anarchiste demande l’effort de concevoir que les formes d’organisation anarchistes ne ressembleraient en rien à l’État. Que ces formes impliqueraient une variété infinie de communautés, d’associations, de réseaux et de projets, à tous les niveaux, se chevauchant et se recoupant de toutes les façons imaginables, et peut-être de plusieurs façons que nous ne pouvons concevoir. Certaines seraient plutôt locales, d’autres mondiales. Peut-être que tout ce qu’elles auraient en commun est qu’aucune ne comporterait la possibilité que quelqu’un puisse se pointer avec des armes et intimer à tous les autres de se taire et de faire ce qu’on leur ordonne. Et il faut bien voir que, puisque les anarchistes n’essaient jamais de prendre le pouvoir sur un territoire national, le processus de remplacement d’un système par un autre ne prendra pas la forme d’un cataclysme révolutionnaire soudain – la prise de la Bastille ou celle du palais d’Hiver – mais sera nécessairement graduel, passant par la création de formes d’organisation alternatives à l’échelle mondiale, de nouvelles formes de communication et de nouvelles façons, moins aliénantes, d’organiser la vie, qui feraient en sorte qu’éventuellement, les formes de pouvoir actuellement existantes paraîtraient absurdes et superflues. Dans cette « perspective, on peut dire qu’il y a en fait d’innombrables exemples d’anarchisme viable: à peu près n’importe quelle forme d’organisation – d’un groupe klezmer aux services postaux internationaux – en est un exemple, à condition qu’elle n’ait pas été imposée par une autorité supérieure. »
David Graeber, Pour une anthropologie anarchiste

“Les caractères qui se laissent abattre pour un rien sont les plus aptes à supporter de grands coups. Ils vivent plus aisément dans une atmosphère de tragédie que les énergiques. Ils ont vite épuisé leur réserve de souffrance et vont de l’avant. S’habituer à considérer chaque égratignure comme un malheur enlève de la force aux coups d’un grand et véritable malheur.
Un malheur arrive :
« l’optimiste crâne » souffre atrocement, « celui pour qui tout va mal » souffre comme ci comme ça,
« le pessimiste intégral » se réjouit de cette confirmation.
Pour ne pas souffrir, il faut se convaincre que tout est souffrance. Leopardi pouvait avoir une vie heureuse.
Pour ne pas souffrir, il faut souffrir. C’est-à-dire, il faut accepter la souffrance.”

Cesare Pavese, Le métier de vivre

“Le lieu de ta personne c’est bien le boulevard turinois, aristocratique et modeste, printanier et estival, calme, discret et vaste, où s’est faite ta poésie. Les matériaux venaient de plusieurs lieux mais c’est là qu’ils trouvaient leur forme. Ce boulevard, et le bistro du boulevard, furent ta chambre, ta fenêtre sur les choses. Quand l’envie d’écrire des poèmes te revient, tu cherches de tels lieux.”
Cesare Pavese, Le métier de vivre

“Au fur et à mesure que passent les années, la tête de mort se dessine toujours davantage sous le visage de chacun.”
Cesare Pavese, Le métier de vivre

“La mort a pour tous un regard.
La mort viendra et elle aura tes yeux.
Ce sera comme cesser un vice,
comme voir resurgir
au miroir un visage défunt,
comme écouter des lèvres closes.
Nous descendrons dans le gouffre muets.”

Cesare Pavese

« Aussi je vais me promener. Pour mieux rêver. Un rêve sans porte. Je commence à en avoir assez des portes. Je vais à Lausanne. Me promener. J’aime Lausanne. Quand je serai riche. Je reviendrai à Lausanne. Puisqu’il faut être riche. Pour venir à Lausanne. Lausanne c’est la ville riche. Avec un lac riche. Des maisons riches. Avec des jardins riches. Avec des tramways riches. Avec des contrôleurs des postiers des policiers des facteurs riches Et tous vêtus de gris Qui est une couleur riche. Avec des journaux riches. Des Princes riches. Riches de tout. Et de richissimes Américaines dans de richissimes palaces soignés par de richissimes docteurs jugés par de richissimes magistrats. Et tout ce monde roule roule dans de richissimes voitures. A carrosseries bien ouvragées immatriculées Je croise de richissimes romanciers. Mes collègues. Qui ont choisi le Léman. Pour ne pas payer d’impôts. Je n’ai pas choisi le bord de l’eau. C’est ma richissime Destinée Qui me tient Près de cette bande d’idiots. J’aime Lausanne. Les Peintures les Livres les Tea-rooms. J’aime par-dessus tout les week-ends. Ils sont encore plus riches. Et j’aime le riche du riche. Depuis hier à Paris on ne dit plus «  week-end » on dit « fin de semaine » Je suis à Lausanne. Paradis verdoyant. Des rois de la Banque de l’Industrie de l’Afrique de l’Amérique de l’Arabie. Le Paradis des Calvinistes s’il vous plaît… (L’étable est loin j’aime mieux vous le dire.) N’est pas des moindres. J’aime les week-ends. Ici à Lausanne. We speak English. You know. Everybody speak English. »

Hélène Bessette, Suite suisse

“La dimension picturale des toponymes apaches occidentaux se manifeste fréquemment lorsque les Apaches doivent comparer leurs propres toponymes avec des toponymes familiers de langue anglaise. À ces occasions, ces derniers (tels que Globe, Show Low, McNary, Phoenix, etc.) sont régulièrement considérés comme insuffisants: on leur reproche « de ne pas montrer à quoi ressemblent ces endroits» ou «d’en empêcher toute représentation mentale». À l’inverse, on fait systématiquement l’éloge des toponymes apaches occidentaux en ce qu’ils permettent «de voir ces lieux pour ce qu’ils sont réellement», ou «d’en donner une image mentale qui vous permet de les voir après les avoir quittés». Un Apache de Cibecue résume succinctement ce contraste: «Les noms donnés par l’homme blanc [ne sont] pas bons. Ils n’offrent pas d’images à notre esprit.» Ajoutons qu’un proverbe local proclame: «Les Apaches n’ont pas besoin de Polaroid. Leurs noms font sans problème le même travail.”
Keith Basso, L’eau se mêle à la boue dans un bassin à ciel ouvert

“Un arrosoir, une herse abandonnée dans un champ, un chien au soleil, un pauvre cimetière, un estropié, une petite ferme, tout cela peut devenir le vaisseau de ma révélation.Chacun de ces objets, et mille autres pareils sur lesquels le regard d’habitude glisse avec une évidente indifférence, peut soudain pour moi à n’importe quel moment qu’il n’est aucunement en mon pouvoir de provoquer d’une quelconque façon, prendre une valeur sublime et émouvante qu’il me semble dérisoire de tenter d’exprimer par des mots”
Hugo von Hoffmannsthal, Lettre de Lord Chandos, 1902

“Si tu me demandes quels sont les projets que j’ai faits cette nuit,
d’acier et de granit -
je crois que le soleil les a fait fondre,
ou que ce vent léger les a emportés.”
Charles Reznikoff, La Jérusalem d’or

“L’impression laissée par des visages d’autrefois sur des fenêtres à travers lesquelles ils avaient regardé toute leur vie.”
H.P. Lovecraft, L’innommable

“Il me semble qu’une véritable cosmopolitique pourrait commencer par le tissage de solidarités entre des agents humains et autres qu’humains soumis à un même régime de domination. Le cas des motifs et des conséquences de la déforestation de l’Amazonie est, à cet égard, exemplaire. Rappelons d’abord que cette forêt est, en grande partie, anthropogénique, c’est-à-dire que sa composition floristique est le produit des façons culturales et des techniques d’agroforesterie que les Amérindiens ont développées au cours des millénaires. Sa destruction par l’agrobusiness pour y substituer des cultures de soja est donc un crime à la fois contre les populations autochtones, contre l’humanité et contre les milieux de vie.

La chaîne criminelle peut toutefois être mieux particularisée : elle lie comme victimes les Amérindiens du Brésil dépossédés de leur terre au profit de la culture intensive du soja dont on gave les cochons européens, élevés dans des conditions indignes, avec les milieux de vie détruits à la fois par cette monoculture et par l’élevage industriel. On peut parler de «géoclasses» pour ces solidarités embryonnaires ou à construire entre humains et autres qu’humains qui unissent en réseaux les employés des élevages porcins et des abattoirs, les Amérindiens spoliés, les ouvriers agricoles de l’agrobusiness brésilien, les cochons et les tourbières de Bretagne, les écosystèmes amazoniens détruits par le défrichement, les espèces affectées par l’usage massif des herbicides et des intrants dans la culture du soja, ainsi que les organismes perturbés par la prolifération des algues vertes sur le littoral.

L’ouverture cosmopolitique peut aussi se réaliser par des modifications du droit de propriété, telle celle qui confère une personnalité juridique à des milieux de vie, généralement des bassins versants comme le fleuve Whanganui en Nouvelle-Zélande, la [rivière] Magpie au Québec ou [le fleuve] Atrato en Colombie. En personnifiant le droit à exister d’un écosystème, on inverse potentiellement la direction multiséculaire de l’appropriation : non plus des humains vers des ressources physiques localisées, mais d’un territoire devenu autonome vers ses habitants humains et autres qu’humains. Les humains ne sont plus des sujets politiques parce qu’ils sont maîtres et possesseurs d’un milieu de vie, mais parce que, en tant que possédés par l’espace qui les accueille, ils sont en situation d’entretenir avec lui une relation d’équité.”
Philippe Descola, entretien dans Le Monde du 10 juin avec Baptiste Morizot

“La poésie, c’est l’enthousiasme cristallisé”
Hölderlin

“Et dire, ce sentiment bizarre, que je ne puis seulement en parler ! Souvent, c’est comme un bien-être qui me vient, un ravissement, mais il suffit que l’image de la Fleur s’estompe un peu en moi, et tout mon être succombe à un trouble profond et intense : c’est bien ce que personne ne pourra comprendre, ne comprendra jamais.”
Novalis

“I’m Nobody! Who are you?
Are you – Nobody – too?
Then there’s a pair of us!
Don’t tell! they’d advertise – you know!

How dreary – to be – Somebody!
How public – like a Frog –
To tell one’s name – the livelong June –
To an admiring Bog!”

Emily Dickinson, poem 260

“La vulnérabilité, c’est précisément cet infime interstice par lequel des profils psychologiques tels que celui de G. peuvent s’immiscer. C’est l’élément qui rend la notion de consentement si tangente. Très souvent, dans les cas d’abus sexuel ou d’abus de faiblesse, on retrouve un même déni de réalité : le refus de se considérer comme une victime. Et, en effet, comment admettre qu’on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant ? Quand, en l’occurrence, on a ressenti du désir pour cet adulte qui s’est empressé d’en profiter ? Pendant des années, je me débattrai moi aussi avec cette notion de victime, incapable de m’y reconnaître. (…) En jetant son dévolu sur des jeunes filles solitaires, vulnérables, aux parents dépassés ou démissionnaires, G. savait pertinemment qu’elles ne menaceraient jamais sa réputation. Et qui ne dit mot consent.”
Vanessa Springora, Le consentement

« Je me demande comment se souviennent les gens qui ne filment pas, qui ne photographient pas, qui ne magnétoscopent pas.  Comment faisait l’humanité pour se souvenir ? Je sais, elle écrivait la Bible. La Nouvelle bible ce sera l’éternelle borne magnétique d’un temps qui devra sans cesse se relire pour seulement savoir qu’il a existé. »
Chris Marker, “Sans soleil”

« La relation entre la poésie et la révolution a perdu toute ambiguïté. Le poème POWER de Gregory Corso est l’unique raison qui a vu naître le concept des Diggers : l’autonomie. La question n’est plus le statut d’une minorité américaine, mais le statut de l’Amérique. Les Diggers sont en rébellion contre la marchandise et la hiérarchie des valeurs marchandes. […] Créer des alternatives. Tourner les gens vers leurs propres pouvoirs créatifs. Le public, c’est n’importe quel imbécile dans la rue, et le pouvoir, c’est se tenir au coin de la rue et n’attendre personne. » 
Diggers Papers, 1966

“Le monde doit être romantisé. C’est ainsi que l’on retrouvera le sens originel. Romantiser n’est rien d’autre qu’une potentialisation qualit| ative]. Le Soi inférieur en cette opération est identifié à un Soi meilleur. Nous sommes nous-mêmes une telle série de puissances qualitatives. Cette opération est encore totalement inconnue. Lorsque je donne à l’ordinaire un sens élevé, au commun un aspect mystérieux, au connu la dignité de l’inconnu, au fini l’apparence de l’infini, alors je les romantise-L’opération s’inverse pour le plus haut, l’inconnu, le mystique, l’infini-elle est logarithmisée par cette liaison-Elle reçoit une expression courante. Philosophie romantique. Lingua romana. Alternance d’élévation et d’abaissement.”
Novalis

« Et sur les indications du diable, on créa l’école. L’enfant aime la nature : on le parqua dans des salles closes. L’enfant aime voir son activité servir à quelque chose : on fit en sorte qu’elle n’eût aucun but. Il aime bouger : on l’obligea à se tenir immobile. Il aime manier des objets : on le mit en contact avec des idées. Il aime se servir de ses mains : on ne mit en jeu que son cerveau. Il aime parler : on le contraignit au silence. Il voudrait raisonner : on le fit mémoriser. Il voudrait chercher la science : on la lui servit toute faite. Il voudrait s’enthousiasmer : on inventa les punitions. Alors les enfants apprirent ce qu’ils n’auraient jamais appris sans cela. Ils surent dissimuler, ils surent tricher, ils surent mentir. »
Adolphe Ferrière

“Il faut jeter des fleurs aux pieds des barbares”
Émile Gallé