
City Dog Garden
Édition | City Dog Garden |
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164 pages | |
Date | 2017 |
Les grandes villes frappent l’imaginaire collectif par leurs monuments, leurs spécificités architecturales et leurs grands plans urbains. Mais leur personnalité s’observe aussi à ras de trottoir : dans les teintes du bitume, les textures des sols, les retombées des murs, les dessins du mobilier urbain, les bouches d’égouts, gouttières et grilles d’aérations.
À cette hauteur et en ces lieux, la végétation n’a pas l’éclat de celle que l’on trouve dans les tableaux et la flore qui se déploie ici-bas n’est destinée à aucun bouquet. Étrangères à la matière dans laquelle elles éclosent, ces plantes et fleurs n’ont pas non plus les faveurs des jardins botaniques ou d’agréments. Pourtant elles s’insinuent dans les failles et anfractuosités de nos murs et macadams. Blotties dans les plis et les trous du bâti, ce sont les marginales des cités. Si elles ne manquent pas de noms savants, elles sont populairement appelées herbes folles, plantes sauvages, vagabondes, perce-pierre, mauvaises graines, adventices…
Je ne les aurais probablement pas regardées aussi attentivement sans le flair de mon chien, qui m’y conduisait systématiquement, passant au scanner de son museau toutes les flaques de pisse et les reliefs étranges qui jonchent les trottoirs. Ce réseau de communication canin demeure impénétrable autrement que par la truffe et j’ignore tout des messages qui s’échangent ainsi, mais je m’étonnais chaque jour de constater que les chiens semblent privilégier cette végétation pour y répandre leur miction. Ses effluves chimiques s’adressent-elles encore à leur mémoire d’espèce ? ou connaissent-elles simplement le sort de tout ce qui fait relief et protubérance à leurs yeux ? Il m’apparut que ces plantes de trottoirs composent le jardin des chiens de la cité.
J’appris à apprécier leurs discrètes beautés et, sous leurs frêles apparences, leurs solides constitutions. Tandis que leurs tiges baignent dans des flaques nauséabondes et que capsules de bière, mégots et vieux papiers se disputent leur parterre artificiel, elles s’entêtent à fleurir et à pousser. La vie veut vivre, constatais-je, c’est ainsi…
Muni d’un petit appareil de poche je les ai photographiées au rythme quotidien des sorties du chien pendant trois ans de 2013 à 2016. La promenade est pour lui une sérieuse affaire de pistage et de marquage. Elle devint pour moi l’occasion de prises de vue, favorisées par le temps long que chaque arrêt pour humer me donnait pour cadrer. Je ne me sens pas réellement l’auteur conscient de ces images. Plutôt un exécutant mené par la laisse et guidé par mon fidèle compagnon - d’une pisse à l’autre et d’une prise à l’autre - afin de célébrer son jardin sous la forme d’un herbier photographique. Je suis gré que chaque cliché m’ait réclamé de m’accroupir pour me mettre à la hauteur de ces mauvaises herbes. Car je leur faisais ainsi ma révérence avant de leur tirer le portrait.
À la fin de l’année 2016 je déménageais pour la forêt et une maison avec jardin. Ce qui mit un terme à cette série. De plusieurs centaines d’images, je fis des sélections et des diptyques, afin de composer ce livre auto-édité. Je reproduis ici quelques doubles-pages des quatre-vingt deux qui le constitue. (photographie du livre au-dessus, captures d’écran des doubles pages au-dessous).